samedi 26 mai 2012

C O P Y

En entrant dans sa boutique de poche, presque un réduit, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'Aldo a les genoux massifs, pire encore : adipeux. Ses cuisses souffrent d'un manque d'esquisse, ses chevilles sont inexistantes, ses petits yeux enfoncés dans la plasticine de son visage. Chaque matin, il noue sa tignasse en catogan, machinalement : il n'a plus aucun miroir chez lui depuis quelques mois déjà, plus par superstition que par dégoût.

Dans les couloirs du métro ça fait longtemps que plus personne ne fait attention à sa dégaine, malgré son t-shirt bleu électrique barré d'un "S" dissimulé sous sa chemise en jeans taille XXL. Jaune et rouge, le "S". De quoi inspirer le respect, mais sa démarche de John Wayne empâté n'interloque plus : Aldo fait partie des meubles du centre commercial, au même titre que cette jeune fille fadasse qui presse environ 167 jus de fruits par jour, que cette mère de famille qui tente d'arrondir ses fins de mois en hélant le chaland en quête de réceptacles en plastique, plus encore que ce petit vieux planté sur le banc en face du marchand de journaux chaque jour ouvrable, sans que personne ne s'interroge sur la finalité de sa démarche.

Lorsqu'il s'installe derrière son comptoir, il ne peut s'empêcher de jeter un oeil à Cassius, dans son rectangle doré de la boutique d'encadrement d'en face. Cassius, le spitz nain de sa mémé qui ne jappe plus depuis trois mois déjà. Disparu en même temps que mémé Dolorès, broyés tous les deux par un camion-poubelle, avant même qu'il parvienne à courir pour les secourir. Et quand il pense à Cassius, et à sa mémé, Aldo ne peut s'empêcher de soupirer, et de faire voleter toutes les feuilles posées devant lui. Ce 23 mai encore, il aidera des familles à photocopier leurs cartons d'invitation, les syndicats leurs lettres de convocation. Mais un jour, il le sait, entre ses mains pataudes passeront des secrets d'états, des lettres anonymes, ou des recherches d'héritiers. Il sera enfin un rouage efficient dans l'ordre du monde, et adieu les remords, adieu les Mellow Cakes.

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