dimanche 29 avril 2012

E M I L E

Il traîne toujours ses guêtres au même endroit, Emile. Un périmètre savamment établi entre le paquebot Flagey et le Pantin, le long de la ligne des trams. C'est que l'affaire est sérieuse, une obsession le tenaille. De ses pupilles plus encore que de ses lèvres jaillissent une supplique avide: "Vous n'auriez pas une cigarette pour moi?". Il est comme le pénitent qui attend la dernière, tout entier tendu vers ce but, du haut de son mètre nonante. A force, on finirait pas le prendre pour un écho, un fantôme errant de plus. Sauf elle, avec son casque vissé sur les oreilles et son sourire candide. Elle prend le temps de s'assoir, de lui demander comment il va, de s'excuser de ne pas avoir de quoi le satisfaire. C'est l'instant où il reprend corps, où à nouveau l'humanité refait surface dans ses yeux. Mais déjà, arrive le 81, la silhouette juvénile fait un petit signe de la main en disparaissant. Et la litanie reprend : "Vous n'auriez pas une cigarette pour moi?"

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