Il traîne toujours ses guêtres au même endroit, Emile. Un périmètre
savamment établi entre le paquebot Flagey et le Pantin, le long de la
ligne des trams. C'est que l'affaire est sérieuse, une obsession le
tenaille. De ses pupilles plus encore que de ses lèvres jaillissent une
supplique avide: "Vous n'auriez pas une cigarette pour moi?". Il est
comme le pénitent qui attend la dernière, tout entier
tendu vers ce but, du haut de son mètre nonante. A force, on finirait
pas le prendre pour un écho, un fantôme errant de plus. Sauf elle, avec
son casque vissé sur les oreilles et son sourire candide. Elle prend le
temps de s'assoir, de lui demander comment il va, de s'excuser de ne pas
avoir de quoi le satisfaire. C'est l'instant où il reprend corps, où à
nouveau l'humanité refait surface dans ses yeux. Mais déjà, arrive le
81, la silhouette juvénile fait un petit signe de la main en
disparaissant. Et la litanie reprend : "Vous n'auriez pas une cigarette
pour moi?"
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